L’avenir paysager de l’Arc jurassien est en jeu

Le recours contre le parc éolien de Granges est actuellement en procédure devant le Tribunal fédéral. Six éoliennes avec des rotors de 122 m de large sont prévues sur la première chaîne du Jura, dans le canton de Soleure. Les machines seraient visibles pour plus d’un million de personnes, et des espèces d’oiseaux très menacées sont mis en danger. Cette décision aura une importance décisive pour l’avenir du paysage suisse.

Le paysage jurassien de la Montagne de Granges (c) Marcel Kessler

En 1942, pendant la Seconde Guerre mondiale, le canton de Soleure décide de créer la zone de protection du Jura. Peu d’autres cantons connaissent des règles aussi strictes en matière de protection du paysage : les lignes aériennes, les maisons de vacances, les routes, les clôtures et même les sculptures en bronze sont interdites. L’ordonnance cantonale sur la protection de la nature et du patrimoine culturel définit les couleurs, les matériaux, l’emplacement et l’apparence de tous les éléments construits. Les endroits exposés sont interdits. Les nouveaux bâtiments doivent imiter les bâtiments existants.

La zone de protection du Jura serait ignorée. L’immense région du Jura, qui offre un refuge à une biodiversité très riche et attire chaque week-end des dizaines de milliers de personnes des zones urbanisées du Mittelland, est menacée par le parc éolien de Granges. Trois turbines doivent être érigées directement à côté de la Wandfluh, la grande paroi rocheuse au-dessus de la ville horlogère de Granges. Trois autres sont prévues au milieu de dolines. Le rayon de visibilité est de plus de 50 kilomètres. La production d’électricité serait très irrégulière et se situerait entre 10 GWh (selon Birdlife) et 30 GWh (selon le promoteur) par an. Cela correspond à 0,04 % de la consommation suisse d’électricité.

Le canton de Soleure étant l’un des seuls cantons à ne pas prévoir de votation sur un tel projet, seules les associations environnementales disposant d’un droit de recours ont pu faire opposition. Actuellement, seul le recours de l’association de protection des oiseaux ASPO/Birdlife Suisse est encore pendante devant le Tribunal fédéral. La Cour suprême va donc se prononcer sur l’avenir de la chaîne jurassienne, qui marque l’horizon de notre pays de Genève à l’Argovie. Des rotors géants attireront-ils l’attention pendant la journée et des feux rouges clignoteront-ils au-dessus de Granges la nuit ?

BirdLife critique le fait que la centrale éolienne soit placée au milieu de la zone de protection du Jura et à côté d’une zone de protection du paysage d’importance nationale. De nombreux oiseaux inscrits sur la liste rouge se reproduisent dans le périmètre impacté et seraient tués par les rotors. De nombreuses chauves-souris y vivent également et les oiseaux migrateurs traversent deux fois l’an les montagnes du Jura. Au milieu de leur trajectoire de vol, entre 27 et 150 m au-dessus du sol, les rotors tourneraient à une vitesse pouvant atteindre les 400 km/h.

Récemment, la route menant à la montagne de Granges s’est partiellement effondrée. Pendant la réfection, il a fallu arrêter les sources d’eau potable dans le tunnel ferroviaire de Granges, situées directement sous le parc éolien, en raison de l’infiltration rapide de l’eau entre la route et les sources du tunnel. La ville de Granges, qui tire entre 85 et 98 % de son eau de ses propres sources, devrait se passer de son propre approvisionnement en eau potable pour construire le parc éolien. 40’000 personnes sont raccordées au réseau d’eau de Granges.

Le projet de centrale à la Montagne de Granges le montre : le Tribunal fédéral ne se prononce pas seulement de la construction de six turbines. Il décide aussi de l’avenir de l’eau potable de dizaines de milliers de personnes, de la survie de nombreuses espèces animales et de l’avenir des zones de loisirs de la population du Plateau suisse.

Nous ne pouvons pas remplacer notre paysage. Nous n’en avons qu’un seul.